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Femmes « invisibles » !

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Dernière mise à jour : 22 févr. 2023



Tout au bout du quartier Ali Bay de Tanger, Khadija gît par terre, dans un lieu d’une saleté répugnante, entourée de ses chatons maigres et d’une nuée des sacs-poubelle et de bouteilles en plastique, son corps endormi porte la trace de toutes les souffrances qu’elle a vécues.


Rédigé par : Ahlam Ghajjou

Les conditions de vie déplorables de khadija - Crédit : Ahlam Ghajjou


Cette quadragénaire balafrée est sans toit depuis plus de 20 ans. Jeune, elle est détenue en prison pendant 6 mois à cause d’une empoignade avec sa belle-mère. Après sa sortie, son père l’expulse de la maison, poussant ainsi sa fille, une jeune de 21 ans, à errer dans la rue.

Tirée de son sommeil, effarée par le bruit de mes pas, elle se montre d’abord hésitante à ouvrir son cœur et à me confier les causes de son sans-abrisme, de la violence qu’elle subit chaque jour, de son addiction à la drogue, et des nuits d'hiver froid…

Il lui a fallu un moment pour mettre des mots sur ce qu’elle ressent, elle prononce enfin : « D’où commencer ? »



Elle pose sa main droite abimée sur la pomme de sa main gauche, prend une profonde respiration et soupire : « la vie dans la rue est très difficile ; on me viole, on m’agresse, on m’insulte…, mais c’est normal, je suis une femme qui vit dans la rue, je dois donc subir tout ce qui va avec " dit-elle d’un haussement d'épaules, semblant feignant accepter cette réalité douloureuse.

Les stigmates de la violence

Meurtrie, elle pose son regard sur son chaton noir, et poursuit : « Un jour, un homme a tenté de me violer, et pour me défendre, je l’ai blessé au visage avec une lame de rasoir. Quelques jours plus tard, alors que je marchais dans la rue, il m’a saisie par derrière » elle pousse un profond soupire, ses lèvres tremblent et ses yeux se voilent de larmes : « j’étais étourdie par la force de ses coups, j’avais le sang qui coule partout sur mon visage… tout ça s’est déroulé sous le regard indifférent des passants. Après cet incident, j’ai perdu mon œil droit. » confie-elle avec amertume en montrant du doigt le pansement qui masque son œil droit perdu. « Quand j’ai porté plainte au commissariat, c’est moi qui suis devenue la coupable, on m’a condamné à deux mois de prison et une amende ! c’est normal, il a ses avocats, et moi je n’ai que dieu… » dit-elle, les yeux embués de larmes.



Les mains croisées, Khadija raconte son calvaire - Crédit : Ahlam Ghajjou


Khadija regarde de nouveau ses chatons, un sourire fugace se dessine sur son visage fatigué : « Ce sont mes enfants ! » souffle-elle, en les montrant du doigt.


Après un moment de silence, elle poursuit : « Les hommes agresseurs représentent pour nous une menace, une source de violence, soit on leur donne notre corps et notre argent, soit on se fait battre sans pitié, on ne peut rien y faire » confie-elle d’un air détaché, avant d’ajouter : « Quand il fait noir, je ne dors jamais tranquille, je suis toujours envahie par un sentiment d’insécurité et d’angoisse constant »

Khadija fait grise mine : « la vie dans la rue est très difficile, j’en ai marre de cette vie !»


Derrière cette confession de Khadija se cache une réalité glaçante qui se trame chaque jour…

S’il est un fait sûr, c’est que nombreuses sont les « khadijas » qui vivotent au milieu de tous les dangers de la rue, subissant la violence sous toutes ses formes, sexuelle, économique, physique, psychologique et sociale.


Sit-in devant le tribunal de Première Instance, Tanger - Crédit : Ahlam Ghajjou.


  « Orangez le monde »


« Non à la violence contre les femmes », c’est le slogan levé par une dizaine d’activistes de la dynamique des droits des femmes de Tanger en cette journée pluvieuse du 25 Décembre.

« Le but du sit-in d’aujourd’hui est de commémorer la journée internationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, Plusieurs femmes sont victimes de différentes formes de violence, notamment celles qui sont en situation de précarité, elles sont les plus touchées. » lance Hakima Cherkani, membre de l’Union de l’Action féministe- section de Tanger.

Toutes portant des écharpes orange et de noir vêtues, les activistes de la dynamique se tiennent debout devant la cour d’appel et le tribunal de Première Instance à Tanger, annonçant leur participation à la Campagne internationale des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, sous le thème mondial « Orangez le monde : financez, intervenez, prévenez, collectez ! »

« La symbolique du sit-in devant la cour d’appel et le tribunal de Première Instance est de marquer notre désarroi du fait que les instances judiciaires ne répondent pas aux attentes des femmes victimes de violence !» fait remarquer Hakima Cherkani.


Sit-in devant la cour d’appel, Tanger - Crédit : Ahlam Ghajjou.


Plusieurs accords internationaux tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), défendent le droit des femmes à vivre à l’abri de la violence, tout particulièrement par le biais des Recommandations générales 12 et 19, et par la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence contre les femmes promulguée en 1993.

En outre, l’engagement de veiller à ce que « personne ne soit laissé en arrière » dans le passage à un modèle de développement durable est au cœur des objectifs de développement durable (ODD).

Cependant, « les femmes sans domicile fixe (SDF) sont laissées-pour-compte, et leur fragilité laisse place non seulement à leur isolement et à leur exclusion sociale mais aussi à la grande précarité », lance Houssin Outaleb, l’intervenant du terrain de l’association Hasnouna de Soutien aux Usagers de Drogues, qui ouvre ses portes aux toxicomanes, y compris les femmes SDF qui sont dépendantes des substances toxiques.

« La rue est plus violente contre les femmes qu’elle ne l’est pour les hommes. La domination masculine dans l’espace public pèse lourdement sur la santé physique et psychique de ces femmes et accentue leur stigmatisation et leur rejet social. » remarque Houssin Outaleb.

Soulma Taoud, la présidente de la Commission régionale des droits de l’Homme de la région Tanger-Tétouan-Al Houceima, confirme : « le seul fait de devoir vivre dans la rue, a fortiori en tant que femme, constitue une atteinte grave aux droits humains et aux accords internationaux auxquelles le Maroc s’est engagé ».

La même source ajoute « Les femmes SDF sont privées de leurs droits à l'intégrité physique et psychologique, à la sécurité et à la sûreté, au logement, à l’alimentation, aux soins médicaux, et à la protection sociale. »



Le calvaire invisible des femmes sans-abri


Bien que la loi n° 103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes renforce les dispositions applicables aux violences à leur égard, les femmes SDF, en particulier, restent « invisibles » vis-à-vis cette loi : « Malheureusement, la loi ne prévoit aucune protection pour les femmes SDF », se désole l’avocate Najat Chentouf, en insistant sur le rôle de l’Etat et des élus de la région et des collectivités territoriales, qui, selon elle « doivent allouer un budget pour protéger ces femmes, et assurer des centres d’accueil qui garantissent leur sécurité et leur sûreté »

Contactée à ce sujet, la coordinatrice régionale de l’Entraide national de la région Zineb Oulhaj éclaircit :« L'Entraide Nationale, en partenariat avec des associations qui gèrent les Établissements de protection sociale (EPS), essaie de protéger les femmes SDF en assurant une prise en charge complète», tout en faisant allusion à l’engagement du ministère de la solidarité et de la famille pour faciliter la prise en charge médicale et psycho-sociale de ces femmes ainsi que leur intégration familiale et sociale.

Toutefois, ces efforts déployés, aussi symboliques soient-ils, sont reçus avec beaucoup de circonspection par la société ci­vile et les agents de terrain.

« La société marocaine n’est pas encore consciente de l’ampleur de ce phénomène, et même les médias n’en parlent pas beaucoup. Il n’y a ni études académiques et scientifiques, ni rapports et articles traitant de ce phénomène », se désole le sociologue Ali Chaabani, qui invite les chercheur.es et les académicien.nes à mener des recherches scientifiques sur le sujet.

Bien qu’il n’y ait pas de données sur les profils des femmes SDF, elles sont majoritairement des mamans célibataires, des jeunes femmes rejetées par leurs familles, sortant de prison, ou souffrant de pathologies mentales ou d’addiction.

C’est ce qu’indique Hind Choukri, la responsable psychosociale de l’association 100% mamans « La moitié des mamans célibataires accueillies dans notre association étaient en situation de rue » précise-t-elle.


Marginalisées et exclues, les femmes SDF meurent lentement dans un silence total de la part des citoyens et des autorités.

« Les jours se suivent et se ressemblent, et chaque jour amène son lot d’humiliations et de souffrances, voilà ma vie ! » conclut Khadija.





Ahlam Ghajjou

 
 
 

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